Histoires

C’était comme l’Armageddon

Un an après les tremblements de terre dévastateurs en Turquie et en Syrie, le personnel de Medair se souvient.

C’est un événement qui ne se produit qu’une fois dans une vie. Le 6 février 2023 à 4h17, par une nuit d’hiver glaciale, un tremblement de terre d’une magnitude de 7,8 a frappé le sud-est de la Turquie et le nord de la Syrie, suivi d’un autre, presque aussi important, quelques heures plus tard. Ces tremblements de terre et leurs répliques ont fait plus de 55 000 morts, de nombreux blessés et laissé des millions de personnes sans-abri.

L’équipe d’intervention d’urgence de Medair s’est déployée le lendemain matin en Turquie, où 313 000 bâtiments ont été détruits par l’impact le plus violent. Ils sont arrivés dans un pays en plein désarroi.

“Je me souviens des odeurs. La poussière flottait encore dans l’air lorsque nous sommes arrivés, et de la fumée s’élevait. On pouvait sentir la panique, se souvient Damon Elsworth, responsable de l’intervention d’urgence. Antakya, anciennement appelée Antioche, est une ville de 350 000 habitants, profondément marquée par les tremblements de terre. À l’arrivée de nos équipes, il ne restait pratiquement plus aucun bâtiment debout.

Le bruit des sirènes et du matériel des équipes de recherche – grues, excavateurs – résonnait dans toute la ville. Puis, soudain, il y a eu des coups de sifflets et tout s’est arrêté. Tout le monde s’est tu dans l’espoir que les équipements d’écoute puissent entendre les appels venant de sous les décombres ».

“Je n’ai jamais vu une telle dévastation en dehors d’une zone de guerre », raconte Rebekah Rice, responsable de l’intervention d’urgence. C’était comme Armageddon. Quelques jours plus tard, des gens se promenaient encore en pyjama, parce qu’ils dormaient au moment des faits et que tous leurs vêtements avaient été perdus sous les décombres. Nous sommes passés devant des maisons couchées sur le côté, avec des lits suspendus aux fenêtres, des réfrigérateurs, des machines à laver. Mais le plus douloureux était de voir les gens blottis autour des feux, près des équipes de secours, attendant des nouvelles de leurs proches.”

“L’ampleur de cette catastrophe naturelle était vraiment difficile à appréhender, témoigne James McDowell, chef de l’équipe mondiale d’intervention d’urgence. Les dégâts ont été instantanés sur une zone de la taille de l’Allemagne. Il s’agit du cinquième tremblement de terre le plus meurtrier de ce siècle et du tremblement de terre le plus meurtrier dans l’actuelle Turquie depuis 526 après J.-C.« 

“Les possibilités d’abris sécurisés étant limitées, notre équipe a dormi dans une camionnette pendant les premières nuits. Ce n’était pas le plus confortable, raconte Rebekah, mais je me sentais privilégiée, car je savais que j’avais plus chaud que les personnes qui nous entouraient dans les tentes à l’extérieur.”

“À un moment donné, il a fait moins sept degrés, complète Damon. Comme nous voulions être très réactifs, nous avons loué deux camionnettes qui nous serviraient à la fois de logement et de moyen de transport pour les fournitures à distribuer immédiatement. Nous nous sommes ensuite séparés sur différents sites. Une équipe s’est rendue directement dans les montagnes, auprès d’une communauté de plus de 100 000 personnes vivant sous la neige dans des campements de fortune. Rapidement, nous leur avons acheté des poêles, des tentes et des couvertures. Pendant ce temps, le reste de l’équipe est resté à Antakya, pour commencer la distribution des kits d’hygiène.

Mais l’acheminement des fournitures s’est avéré une tâche complexe, tant les infrastructures étaient détruites. De nombreuses routes étaient obstruées, le macadam présentait de très grosses fissures et la plupart des rues étaient bloquées par les décombres ne laissant que d’étroits passages..

Un chauffeur de camion s’est porté volontaire pour travailler avec nous. Un vrai miracle ! Parce qu’il fallait une sacrée maîtrise de la conduite pour se faufiler entre les débris. Le deuxième soir, il a suggéré que nous nous rendions dans une ville située à quelques heures de là, pour y récupérer des fournitures à distribuer le lendemain. Nous nous sommes regardés et il y a eu un alignement des motivations et de la compassion.

Nous culpabilisions d’aller nous coucher tellement il restait à faire autour de nous. Nous avons donc roulé toute la nuit pour charger notre cargaison à l’aube, dès l’ouverture des magasins. Nous avons acheté tout ce que nous pouvions charger : des savons, des produits d’hygiène pour les femmes, des articles sanitaires, du papier hygiénique, des lingettes humides, des tonnes de sacs de couchage, autant de tentes que nous pouvions trouver. Nous étions de retour à Antakya pour distribuer tout ça, le lendemain à midi. Quelle joie de pouvoir soulager les besoins des femmes et des enfants qui faisaient la queue! « 

Outre la distribution d’articles de survie à 15 000 personnes, l’équipe a également mis en place des séances de premiers secours psychologiques. Le traumatisme était si évident, poursuit Damon. Personne n’était épargné – tout le monde avait perdu quelqu’un. Même les personnes les moins touchées voyaient leurs enfants mouiller leur lit, terrorisés la nuit, et leurs maisons présenter d’énormes fissures. Les partenaires et les volontaires avec lesquels nous avons travaillé étaient tout aussi traumatisés, et c’est donc pour eux que nous avons organisé les premières sessions.”

Dans les mois qui ont suivi la phase d’urgence, Medair a continué à travailler avec des partenaires locaux pour apporter un soutien en santé mentale, une aide financière et participer à la construction d’abris temporaires. Parmi les personnes aidées, on compte de nombreux réfugiés syriens.

En Syrie, où Medair est active depuis près de dix ans, le personnel a ressenti le tremblement de terre depuis Damas. “En l’espace de 24 heures, nous avons mis en place une équipe d’urgence à Alep et nous avons distribué du matériel dans les deux jours qui ont suivi , explique Raija-Liisa Schmidt-Teigen, directrice nationale de Medair. L’équipe d’Alep est passée de 3 à 18 personnes au cours du premier mois, et le personnel international et régional a également pris l’avion pour nous rejoindre.

Ici, c’est crise sur crise. 15,3 millions de personnes dépendaient de l’aide humanitaire en Syrie avant les tremblements de terre, et 90 % des Syriens vivaient déjà sous le seuil de pauvreté. Les conflits antérieurs, l’effondrement de l’économie et la quasi-absence d’infrastructures ont réduit la capacité d’adaptation de la population. Les gens doivent désormais choisir entre nourrir leurs enfants ou réparer leurs maisons fissurées.”

Nos équipes ont fourni des kits d’hygiène à 30 000 personnes au cours du premier mois, ainsi que des fournitures d’hiver, de l’argent liquide et un accès à de l’eau potable pour 215 000 personnes vivant à Alep. Nous avons également remplacé les équipements médicaux endommagés, effectué des réparations de portes et de fenêtres dans les cliniques touchées et apporté une aide spécifique aux personnes handicapées. Enfin, les heures d’ouverture des cliniques ont été allongées pour permettre un meilleur accès au soin.

“Il s’agit d’une même catastrophe qui a dévasté deux pays, chacun dans un contexte très différent, explique James. La réponse a été complexe. Je suis fier que nous ayons pu agir rapidement pour atteindre les populations touchées, y compris celles qui n’ont pas reçu d’autre aide. Nous avons pu adapter notre réponse en fonction des besoins tangibles sur le terrain. Comme toujours dans ce genre de situation, le fait de disposer de fonds d’urgence au moment et à l’endroit où les besoins se font sentir a été déterminant pour nous permettre de réagir rapidement et avec souplesse.”

Cette période a été marquée par des pertes massives en Turquie et en Syrie, et les cicatrices resteront présentes pendant des années. Le chemin vers la guérison est long et notre travail se poursuit. Mais nous sommes reconnaissants d’avoir pu accompagner des centaines de milliers de survivants en leur apportant une aide vitale, au moment où ils en avaient le plus besoin.

 

 


Les services de Medair en réponse au tremblement de terre en Turquie et en Syrie sont financés par des donateurs institutionnels tels que la Chaîne du Bonheur, ECHO, DEC via Tearfund UK, et la DDC, ainsi que par des donateurs privés.

Ce contenu a été produit à partir de ressources recueillies par le personnel de Medair sur le terrain et au siège. Les opinions exprimées ici n’engagent que Medair et ne doivent en aucun cas être considérées comme reflétant l’opinion officielle d’une autre organisation.